Responsabilité délictuelle – Possibilité pour le tiers d’invoquer un manquement contractuel
Publié le :
10/04/2018
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Le 6 octobre 2006, un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation (Ass. Pl., 06/10/2006, n° 05-13.255) dit « Myr’ho » posait le principe selon lequel un tiers peut invoquer un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Cette décision de principe officialisait l’immixtion du contractuel dans les rapports entre des parties qui n’avaient justement pas de liens contractuels. (Endrös, Florian, „Neue Verschärfung des Exportrisikos in Frankreich – Vertragsverletzungen indizieren deliktisches Verschulden“, PHi, 4/2007, pp. 140-142).
S’est aussitôt posée pour les plaideurs la question de savoir si tous les manquements contractuels pouvaient constituer une faute délictuelle (sans compter la question toute aussi essentielle de savoir dans quelle mesure l’ensemble des prévisions contractuelles du contrat invoqué pouvaient être opposées au tiers qui faisait valoir un manquement contractuel).
Après plus de 10 ans de jurisprudence, il s’avère que l’appréciation des Cours d’appel de l’arrêt Myr’ho est généralement large et favorable aux tiers.
Des tempéraments au principe ont toutefois été perçus, ce qui est par exemple le cas pour le manquement à l’obligation d’information pour lequel il paraît acquis qu’il ne peut pas être invoqué par un tiers, que ce soit sur un fondement délictuel (Cf. : Civ. 3, 22 octobre 2008, n°07-15583 et Civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-17.69) ou sur un fondement contractuel par exemple dans le cadre d’une chaîne translative de propriété (Civ. 1, 17 janvier 2018, n°16-27016).
L’obligation d’information ne peut donc être invoquée qu’entre cocontractants.
En 2017, deux arrêts ont laissé entrevoir une nouvelle limitation de la possibilité d’invoquer un manquement contractuel sur un fondement délictuel.
Il s’agit d’abord d’un arrêt de la Chambre commerciale du 18 janvier 2017 (Com, 18 janvier 2017 n° 14.16-442) rendu dans le contexte d’une garantie de passif stipulée dans un contrat de cession de parts sociales d’une entreprise. Confirmant l’arrêt d’appel, la Chambre commerciale retenait que la société tiers « n’a pas prouvé, ni même allégué, que le manquement contractuel constituait une faute délictuelle à son égard » et qu’elle ne pouvait donc pas se prévaloir d’un manquement contractuel.
La 3ème chambre civile, le 18 mai 2017 (Civ. 3, 18 mai 2017, n° 16.11-203), a semblé suivre la même voie restrictive. S’agissant d’une action de certains copropriétaires envers des entreprises engagées par d’autres copropriétaires en vue de la réalisation de travaux, la 3ème Chambre civile considérait que : « des motifs […] tirés du seul manquement à une obligation contractuelle de résultat à livrer un ouvrage conforme et exempt de vices, sont impropres à caractériser une faute délictuelle » pouvant être invoquée par les copropriétaires qui n’étaient pas partie au contrat.
Toutefois, la portée de ces arrêts reste incertaine.
Notamment parce que la 1ère Chambre civile a rendu, dès le 24 mai 2017 un arrêt dans lequel elle a repris mot pour mot le principe dégagé dans l’arrêt Myr’ho de 2006 (Civ. 1, 24 mai 2017, n°16-14.371) et cassé l’arrêt d’appel qui avait retenu qu’une garantie bancaire « ne bénéficie qu’à l’emprunteur et ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers ».
La situation pourrait, dans une certaine mesure, être clarifiée par la future réforme de la responsabilité civile.
La proposition de réforme, dont la dernière mise à jour date du 13 mars 2017, prévoit l’ajout d’un nouvel article 1234 dont le texte serait le suivant : « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II. Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »
Ce nouvel article prévoirait donc la distinction entre un tiers « simple » au contrat, pouvant demander réparation des conséquences du contrat au débiteur (en rapportant la preuve d’un fait générateur de sa responsabilité) et un tiers « ayant un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat » ne devant pas rapporter une telle preuve mais auquel les clauses – aussi celles limitant la responsabilité du débiteur concerné – du contrat seraient opposables.
Naturellement, il sera alors question de savoir quel tiers devrait être considéré comme « simple » et quel tiers « aurait un intérêt légitime ».
Solène Marai
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